-Ballade en foret-

C’est l’hiver. Il fait beau, un peu froid. Une envie de me promener en foret, de sentir la nature, toucher les arbres, parler aux animaux.
Je prends la voiture, je trace la route, elle est belle.

Un sentier presque invisible s’enfonce sous les arbres, je m’arrête.
Mes chaussures écrasent la mousse et les branches mortes, ça craque et c’est doux.
Je me sens bien, je commence à sourire, enfin!

Je suis le petit chemin. Fait par les hommes ? Non, il finit par disparaître sous des buissons épineux. Des sangliers ou des cerfs sûrement.

Alors … un oiseau se met à chanter à ma gauche, sur sa branche il me regarde, moi. Il me demande ce que je fais là, je lui réponds : « Je n’en sais rien, une envie, un besoin. »
Il me sourit (Je n’avais jamais vu un oiseau sourire avant), il me tend son aile et me dit : « Vas-y, prends une plume. ». (Mais je vais lui faire mal, de quel droit …?), mon bras se tend, ma main s’ouvre, mes doigts prennent délicatement cette plume qui s’offre à moi.
Je veux lui dire merci, mais avant que mes lèvres ne s’ouvrent il me dit : «Non, pas de merci, ici les choses se font naturellement. ». Je ne dis rien, je le regarde. Je regarde la plume, elle est brune, légèrement bleutée au bout, un léger duvet blanc sur les bords.
Le vent se lève, la plume commence à frémir, le vent l’emporte, et moi avec. Mes pieds quittent le sol, ma tête touche les nuages, je vois … je ne vois plus rien, quelle sensation !!! Je ne sens plus mon corps, je me sens légère, j’ai juste l’impression que mes courbes invisibles voguent sur la brise, mes cheveux flottent autours de moi comme si j’étais dans l’eau. (Je suis peut-être dans l’eau … non.).
Je commence à ressentir des couleurs, du vert, du brun, du noir. Des formes se forment, elles deviennent familières. Des parfums aussi, quels parfums !
L’impression que tous mes sens se réveillent, comme s’ils dormaient depuis toujours en attente de ce moment.
Mes yeux brillent, enfin !

Je suis allongée, nue, sur la mousse. J’ai froid sans avoir froid, faim sans avoir faim … vivante sans importance.
Aussi légère que tout à l’heure lorsque … (J’ai volé ? Impossible, j’ai rêvé, je me suis endormie et …).
Etrange … on me regarde … là, légèrement à gauche … je sens … je vois … ohhh ! Elle est belle !
Une petite fille, plus petite que la pomme de pin derrière laquelle elle se cachait. Elle a vu que je l’avais vu, je la vois comme je vous vois.
Elle vient vers moi et me dit … (Non ses lèvres ne bougent pas, mais je l’entends) … « Viens, suis-moi si tu veux. ». Je lui demande pourquoi elle ne me parle pas avec sa voix, elle me répond : « Parce que sinon tu ne me comprendrais pas, je ne connais pas ta langue. ». Mes neurones s’entrechoquent. (Mais alors, comment fait-elle pour … ?). Mes neurones se calment. Mes pieds la suivent.
Elle emprunte gentiment des chemins à ma taille, je la suis sans peine. Je ne me pose aucune question, tout est naturel, comme si … j’étais enfin dans le monde réel.
Je commence à entendre des rires. Je vois 3 enfants, aussi petits que ma petite fille, ils me regardent en pouffant … ils me montrent du doigt.
Je leur tire une langue coquine, alors ils tombent tous les trois par terre, ils rigolent comme si la mousse les chatouillait.
Je me mets à rire aussi, enfin !

Je me retourne vers ma petite-fleur-guide … elle n’est plus là, les enfants non plus.
Je tombe à genoux par terre, je suis toujours nue, c’est la seule réalité qu’il me reste.
Je me dis que rien n’est grave. Puisque je suis là, que j’aime la nature, autant en profiter, rester là quelques heures et puis rentrer.
La nuit m’enveloppera alors, je pourrai y cacher ma nudité.

Je m’assois dans la mousse, au soleil, je refais ma tresse. Mes cheveux sont emmêlés, pleins de feuilles. Avec patience je défais les nœuds, mes mains remplacent le peigne … ses mains remplacent mes mains.
C’est un homme, il est à côté de moi, ses mains dans mes cheveux, nu lui aussi.
Je lui demande ce qu’il fait là, il me répond : « Je n’en sais rien, une envie, un besoin. ».
Il ne m’effraie pas, je lui sourie, il me sourit, je le trouve beau, je me vois belle dans ses yeux.
Je termine ma tresse pendant qu’il ne dit rien.
On marche main dans la main, je suis heureuse, je sais qu’il est heureux.

Un rayon de soleil frappe ses cheveux, il se retourne surpris. Alors le rayon tombe dans son œil. Il voit … je ne vois pas. Je sens qu’il frissonne, je lui sers la main.

Je reprends conscience. Je ne me souviens pas.
Je suis nu, toujours. Je me souviens … (Où est-elle ?).
Une feuille s’envole, je décide de la suivre car je n’ai pas d’autre réalité à laquelle me raccrocher. Elle vole doucement, me laisse le temps de la suivre. Elle tombe dans un trou. Un terrier caché dans la mousse, au pied d’un arbre.
Je reste là à regarder ce terrier comme si …
L’arbre au-dessus bouge, ses branches se balancent, il me regarde. Je l’entends : « Toi qui es homme, tu peux bouger, vas-y … et dis-moi ».
Le terrier est à ma taille maintenant, non … je suis à sa taille.
Je descend … il fait noir mais je vois.
J’avance, les pieds dans la terre d’en bas, les cheveux dans celle d’en haut.
Un être me sourit, il me tend la main, je lui donne la mienne. On descend, on s’enfonce. D’autres apparaissent, ils ne me regardent pas. Frissons.
Ils sont occupés à creuser la terre autours d’un rocher deux fois plus grand qu’eux.
Mon guide me dit : « Ca fait cent ans aujourd’hui qu’on essaye de l’extraire, il gène l’arbre au-dessus. Aide-nous. ». Je lui souris : «Je ne peux pas, je ne sais pas.». Il me sourit, me montre le chemin par lequel nous sommes venus : « Va. ». Je remonte, je croise une fourrure, une hermine.
Je sors, aveugle. Non, je commence à voir. Le soleil est au même endroit, le temps n’a pas avancé. Je suis toujours à genoux devant l’arbre et le terrier. Je tends la main à l’intérieur, je sens un caillou, je le prends.
La pierre est belle, gris-rose. Je vois un petit tas de pierres semblables à la mienne à ma droite, je la pose dessus. Elle se glisse parfaitement au sommet des autres. Alors l’arbre se met à trembler doucement, il pousse un soupir (Le vent dans ses feuilles ?).
Une source se met à couler au pied du tas de pierres, elle se fraye un chemin dans les feuilles mortes, elle semble disparaître dans la terre qui la boit puis ressort plus loin. Je la suis.
(Qu’elle était belle !).
Je m’arrête, je vois un cerf qui boit cette source. Il lève la tête, me regarde. « Monte sur mon dos, homme. ». Je monte. Il marche doucement, je vois ses bois qui se balancent de gauche à droite … gauche … droite … gauche …

Je ne vois plus rien, je ne sens plus rien. Noir.
(Et si j’ouvrais les yeux ?) J’ouvre les yeux, je vois … blanc.
Puis du jaune apparaît, une tache, je regarde sous moi, du vert.
Le soleil brille, je suis allongé sur la mousse.
L’impression d’avoir dormi des jours, des lunes.

Je baille, un oiseau chante.
Je me lève, l’oiseau s’envole, un plume tombe, brune, au bout légèrement bleuté, bordée d’un duvet blanc … impression de l’avoir déjà touchée cette plume.

Je marche, les branches craquent sous mes chaussures. Je sors de la foret. Elle est là, elle m’attend avec sa tresse, je lui sourie, elle me sourit. Elle a les yeux qui brillent, les miens aussi, je le vois dans ses yeux.
Une légère brume se lève.
Je l’appelle Koridwen, elle me nomme Ivargna.

On monte dans la voiture, nous traçons la route ensemble, elle est encore plus belle.