Journal d'un Korrigan

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Et après? (suite)

vendredi 20 avril 2007

Je disais donc, ici, que je souhaite avoir le droit, la liberté, de toujours pouvoir faire entendre ma voix.
Je ne pense pas que ça soit excessif de le souhaiter puisque j'ai autant le droit d'exister, donc de m'exprimer, que n'importe qui. Autant que le plus riche ou le plus pauvre d'entre nous, autant que celui qui a le plus de pouvoir ou que celui qui n'a même pas la liberté de décider de son existence.

Une de mes libertés d'expression se trouve dans la grève, et Nicolas Sarkozy s'est exprimé sur le sujet dans son discours d'Agen le 22 juin 2006:
«A celui qui est contre la grève obligatoire imposée par une minorité je propose la démocratie par l’organisation obligatoire d’un vote à bulletin secret dans les 8 jours qui suivront tout déclenchement de mouvement social».

Il souhaite se rapprocher du modèle anglo-saxon:
"Depuis l’ère Thatcher, les lois réglementant le droit de grève sont en Grande Bretagne, parmi les plus restrictives des pays riches [...] Les salariés doivent voter la grève à bulletin secret, informer leur employeur de la date de leur action et en préciser les motifs. La validité de leur vote est limitée à quatre semaines, sauf accord contraire avec l’employeur. Ce dernier peut demander à la justice de s’opposer à la grève. Si celle-ci est déclarée illégale, l’employeur peut licencier les responsables.
Les raisons d’une grève sont nécessairement liées aux conditions de travail ou aux possibles conflits dans l’entreprise concernée. Les grèves de solidarité avec des salariés d’une autre entreprise et celles qui résultent d’un mot d’ordre général - comme la défense des retraites - sont interdites. En août 2005, une grève de solidarité à British Airways a valu des amendes à trois délégués syndicaux et 670 grévistes du groupe de restauration aérienne Gate Gourmet ont été licenciés sur le champ en août 2005.
Les grèves sont un motif de licenciement. Elles sont devenues fort rares et surviennent lorsque tout est perdu [...]"

Source: Gérard Filoche, Le Grand Soir.

Je ne suis profondément pas contre les remises en causes, les lois évoluent et doivent toujours pouvoir être remises en question.
Je suis contre la manipulation qui nous fait croire que les grèves débordent anarchiquement alors que les chiffres prouvent qu'elles sont loin d'être en augmentation:



Je suis séduite par le mot "vote" qu'il utilise mais sceptique au sujet de l'expression "la grève obligatoire imposée par une minorité".
La grève n'a jamais été obligatoire, la grève est un droit, chacun est libre de la suivre ou non.
La preuve, on n'est que deux ou trois à la faire chaque nuit dans un service de plus d'une 100aine d'employés.
Une minorité décide de la grève oui, là il y a quelque chose à changer, les syndicats qui se disent représentatifs ne le sont pas. Mais si cette grève n'a vraiment pas lieu d'être je ne me sens pas obligée de la faire.

Et si une majorité de mes collègues votaient contre une grève que moi et d'autres, minoritaires, trouvions justes? Mon seul droit serait de la fermer?
Si une majorité vote pour un président qui ne me convient pas ... je dois dire "amen" pendant 5 ans?
Non.

La majorité n'est pas représentative de l'ensemble, pas plus qu'une minorité.
On a tous, individuellement, le droit à la parole.

Et après?

vendredi 20 avril 2007

"[...]
L'état comprime la loi triche
L'impôt saigne le malheureux
Nul devoir ne s'impose aux riches
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est t'assez languir en tutelle
L'égalité veut d'autres lois
Pas de droits sans devoirs dit-elle
Egaux pas de devoirs sans droit

[...]"

- Extrait de L'Internationale -
(Ecrit à Paris en 1871 ... et toujours d'actualité)


Mon combat du moment tourne autours des grèves.
Il y a deux grèves dans mon entreprise en ce moment qui durent depuis fin 2006:
- Une le vendredi, suivie par ceux qui ont des convictions bien-sûr mais aussi par les opportunistes des week-ends prolongés (ils viennent grossir les rangs donc je ne me plains pas);
- Une grève de 59 min en fin de nuit, applicable à toutes les nuits travaillées.
Cette dernière a bien marché au tout début, mais depuis quelques mois nous ne sommes plus que 2 ou 3 à la suivre régulièrement.

Je ne suis pas en accord avec les syndicats quant à la manière de faire ces grèves ... 1h par nuit et le vendredi depuis novembre ne sert à rien. Les employés s'essoufflent, les salaires sont déjà bas, la pression officieuse des patrons, etc ... tout ça n'aide pas à créer un mouvement revendicatif qui aurait un réel poids.
Mais il se trouve que nous sommes dans un pays où les patrons ne font pas de cadeaux, on entend rarement parler de patrons généreux qui auraient augmenté le salaire de leurs employés juste à la demande polie de ces derniers.
Il se trouve aussi que les syndicats s'organisent sans demander l'avis des employés. Ils ne cessent de se battre entre eux, "je suis le plus fort, tel autre syndicat fait n'importe quoi!", une grève lancée par un syndicat ne sera donc ni encouragée ni suivie par les membres des autres syndicats. Un peu comme en politique, une loi votée par la droite sera systématiquement dénoncée par la gauche et inversement.
Comment avancer dans ces conditions? Comment peut-on prendre de l'élan s'il se trouve toujours quelqu'un du "camps opposé" pour nous faire un croche-pattes?
Chaque individu a une opinion bien personnelle du chemin qu'il souhaite prendre. C'est déjà difficile de rassembler quelques personnes dans une même direction pour former un groupe plus ou moins homogène, alors mettre deux groupes d'accord ... la seule manière de faire est que chacun utilise son intelligence, comme dans un couple il faut faire preuve d'ouverture à l'autre, de respect, d'écoute, et surtout utiliser la seule chose qui permette à tous de se comprendre: la communication.
Sans communication rien n'est possible.
Bref, en attendant, la seule manière pour moi de me faire entendre, de montrer à ceux qui ont l'avenir de nos salaires entre leurs mains que leurs employés souhaitent vraiment être entendus, est de faire ces grèves.
Je ne peux pas rester sans rien faire et attendre un élan de générosité de la part de nos patrons, je n'y crois pas une seule seconde. Mon geste est peut-être symbolique, j'ai peut-être contracté le syndrome de Don Quichotte s'il en existe un, mais je préfère ça à rester sagement dans le troupeau mené par des assistants-bergers aussi pauvres en communication que leurs supérieurs ou que nos syndicats.

La direction que prend la société se répercute instantanément sur ce qu'il se passe dans nos entreprises. Cette grève symbolique me permet aussi de revendiquer notre droit à nous tous, citoyens, d'exprimer ce que nous pensons, souhaitons, revendiquons ...
Je suis là, j'existe, je fais marcher le pays. Je fais partie de la majorité qui fait tourner la machine sous la direction d'une minorité. Et c'est cette minorité qui devrait tout décider pour moi?
Je souhaite lui faire confiance sur certains points, je souhaite pouvoir travailler l'esprit tranquille tout en sachant qu'elle fera ce qui est juste pour moi, pour elle, pour nous tous. Et je souhaite aussi pouvoir donner mon avis, faire entendre ma voix quand je suis en désaccord avec elle ou quand elle a négligé un détail qui me semblait important.
Je ne ressens pas cette confiance aujourd'hui, elle n'a pas la mienne et je sais que je n'ai pas la sienne, je le ressens tous les jours.
Alors, chaque nuit, je grignote un peu sur mon salaire pour pouvoir exprimer ma faible voix.
Et je souhaite avoir le droit, la liberté, de toujours pouvoir le faire.

Je mène ce combat parce que je souhaite le meilleur pour l'Humanité, donc pour ma société, pour mon entreprise, pour mon collègue, pour moi-même ...
Si je ne faisais rien à l'échelle de mon entreprise comment pourrais-je revendiquer quoi que ce soit pour mon pays, pour ma planète? Je souhaiterais plus de justice, je cracherais sur mes dirigeants politiques, je critiquerais la direction prise insidieusement par l'ensemble des pays dirigeants ... sans même lever le petit doigt face à une injustice qui se passe juste sous mes yeux?
Non.

La majorité se plaint mais ne fais rien, ne prend aucun risque. Sans le savoir ni le vouloir elle aide cette minorité dirigeante à tirer la couverture de son côté. S'il ne reste plus personne pour tirer la couverture de l'autre côté ... on va tous se retrouver dans le froid glacial, tous, la minorité qui a quand-même tenté quelque chose et la majorité qui a laissé faire.
Alors que tous ensembles, unis, on aurait le pouvoir d'obtenir ce que l'on souhaite pour nous et les futures générations.

Si je souhaite sincèrement que mon avenir soit beau et juste je me dois de le construire dans le présent. Chaque moment présent est une racine de l'avenir.