Krishna & Radha


Le texte qui suit fait suite à S'enfouir en Inde.

A mon sens, il parle de quelque chose que nous avons perdu en occident: le rite du passage à l'âge adulte.
Le moment où l'adolescent prend des risques, pour tester ses propres limites et celles du monde qui l'entoure. Ce moment où il prendra pleinement conscience de qui il est vraiment.
"L’adolescence est une phase de la vie humaine de transition entre l’enfance et l’âge adulte. La poussée hormonale de l'adolescence provoque une déstabilisation de l'équilibre de l'enfance qui a des conséquences sur tout le champ de la personnalité. Cette phase est marquée par des changements physiques (puberté puis fin de la croissance), affectifs (modification de la vie relationnelle), intellectuels (compréhension de la vie et de sa vie) et psychiques (recherche identitaire, acquisition progressive de l'autonomie)."
L'adolescence est donc un passage entre l'enfance, période de découverte de son environnement immédiat, et l’âge adulte, où il aura un rôle à jouer dans le Monde, plus vaste.
Un passage difficile, où le petit d’homme découvre que la vie n’est pas si facile, qu’il a des responsabilités face à lui-même et aux autres, où il perd l’innocence …
Si les adultes n’acceptent pas ce passage, ou n’ont pas le temps de l’accompagner, l’adolescent devra se découvrir seul, et il aura tendance à prendre plus de risques, il sera comme aveugle puisque non-avisé.
"dans les pays occidentaux, cette phase se traduit souvent par des relations conflictuelles avec les parents, dont l'autorité est rejetée. Elle se traduit également par la fréquentation de groupes de «copains» élaborant une culture commune (musique, loisirs, sport par exemple). C'est une période pendant laquelle l'adolescent fait des expériences parfois extrêmes dans leur développement, cherchant à dépasser les limites connues. Certains s'enflamment pour la spiritualité, l'amour, l'expérience de la sexualité ou une moralité absolue, d'autres s'adonnent à la prise de substances ayant une action psychique (tabac, alcool, voire drogues douces et dures), enfin un petit nombre peut être tenté par des formes de criminalité. Parfois un même adolescent touche à toutes ces formes de découvertes."
Accompagner ne veut pas forcément dire « être à côté », ça peut être tout simplement accepter le choix qu’aura fait l’adolescent, lui donner sa bénédiction, « va mon fils », pour un voyage en Inde par exemple.
Pourquoi l’Inde?
Pourquoi pas:

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"On sait l’ambivalence des adolescents pour accepter de quitter définitivement le royaume intemporel de l’enfance. Le voyage ne serait qu’un moyen comme un autre d’y rester psychiquement. On pense aussi à Peau d’Âne qui, pour échapper à la proposition incestueuse de son père (il aimait tant sa femme décédée qu’il ne peut qu’épouser sa fille), revêt la peau de l’animal et s’enfuit pour aller vivre pauvrement au fond d’une ferme. Car voyager, c’est aussi fuir l’inceste et la problématique œdipienne. On veut échapper à ses pulsions incestueuses, mais aussi à la castration et au deuil de la toute-puissance infantile. C’est remonter le temps et le dépasser, aller plus vite à contre-courant pour l’empêcher de défiler. C’est courir dans le sens inverse du sens de la rotation de la terre pour essayer de fixer l’instant présent. Tout va trop vite dans le monde des adultes, tout s’accélère. Rester dans le lac de l’enfance ou plonger dans le torrent de la vie, malgré le "chant des sirènes maternelles", ultime effort pour retenir le temps et leur nouveau-né. Regard en arrière, nostalgique au ralenti. Aller de l’avant. S’enfuir, se dessaisir de soi, de son histoire, de ses attaches, de ses proches. S’enfuir dans l’Inde maternelle, s’y dissoudre. Se laisser absorber par ce pays, c’est à la fois fuir sa mère et ses pulsions incestueuses, et les assouvir totalement. C’est encore choisir un entre-deux, un pays du jamais-jamais (jamais, jamais, je ne serai adulte), mais aussi du plus-jamais (plus jamais je ne serai un enfant). Entre les deux mon cœur balance. La balançoire: c’est ce qui caractérise le plus l’Inde, la vie familiale indienne. Tout le monde se balance sur ces grosses balançoires en bois accrochées au plafond de la salle à manger ou de la véranda. Nostalgie de l’enfance, balancier de la vie. Ambivalence sûrement, ivresse toujours.

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Les adolescents sont des voyageurs plus fragiles que les autres, car ils attendent de cette expérience une transformation intérieure, un nouveau regard sur eux-mêmes et sur le monde. Ils sentent qu’il leur faut interroger les dieux sur leur destinée. Cette quête "ordalique"* se fera loin des parents et, si possible, en se mettant en danger: les périples des adolescents sont rarement organisés; ils "marchent à l’étoile", comme dit Michel Maffesoli. Quoi de plus simple, alors, que de prendre un billet d’avion et de se laisser vivre quelque temps dans le no man’s land de l’Inde, cette prolongation du monde de l’enfance où semble s’être réfugiés les dieux, tous les dieux, de Ganesh, le célèbre dieu à tête d’éléphant, à Shiva, le dieu de la création et de la destruction, en passant par Kali, la vengeresse, mais aussi le Christ, Allah et Yahvé. Si l’Inde des mille et un dieux, des contes de fées et des aventures, est pour nous le symbole du voyage, c’est surtout parce qu’elle conjugue les deux voyages, géographique et intérieur."

- Fous de l'Inde, Régis Airault -


*tâche absurde ou répugnante prescrite par le thérapeute pour favoriser le retour à un comportement psychosocialement adapté. Terme dérivé de l'épreuve du "Jugement de Dieu" (Moyen-âge).